L'Afghanistan que je connais

Que cette conférence se soit tenue, que le souci du jour ait été les enfants, c’est-à-dire l’avenir du pays, pour beaucoup, peut sembler miraculeux. Pour moi, c’est le reflet d’une normalité à...

Que cette conférence  se soit tenue, que le souci du jour ait été les enfants, c’est-à-dire l’avenir du pays, pour beaucoup, peut sembler miraculeux. Pour moi, c’est le reflet d’une normalité à laquelle aspire l’immense majorité des Afghans.
La deuxième bonne nouvelle concerne l’Institut Médical Français pour l’Enfant (IMFE) qui fête cette année son cinquième anniversaire. Cet hôpital pédiatrique fut d’abord un rêve, formulé par quelques-uns d’entre nous à La Chaîne de l’Espoir, fin 2001, après la chute des Talibans. En 2002, nous avons trouvé un terrain, bourré de mines et de débris, avec en toile de fond, les ruines du vieil hôpital Ali Abad, jadis géré par les Hospices de Lyon. Il était le témoin d’une relation médicale ancienne entre la France et l’Afghanistan et celui, aussi, des ravages et des destructions causés par les conflits.
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ». Cette citation de Mark Twain illustre bien ce qui nous est arrivé, à La Chaîne de l’Espoir, avec cet hôpital. C’était impossible et nous l’avons fait. Il a vu le jour, grâce à la générosité, à l’énergie et au travail de nombreuses personnes et institutions, et il vit sa vie grâce au réseau de développement de l’Aga Khan, qui en assure la gestion administrative quotidienne. Il fut inauguré, voici déjà cinq ans, en avril 2006. En février 2010, moins de quatre années plus tard, une équipe entièrement afghane, sans l’aide ni la présence de chirurgiens étrangers, pratiqua avec succès une opération à cœur ouvert. Cette grande première fut un moment fondateur car La Chaîne de l’Espoir n’est pas seulement à Kaboul pour soigner des enfants, mais aussi pour transmettre à nos confrères afghans notre expérience et notre savoir-faire.
En cinq ans, notre hôpital de Kaboul a reçu 65.000 personnes en consultation et nous avons opéré plus de deux mille enfants. Ils sont venus des quatre coins du pays, sont d’origines ethniques différentes, certains riches, d’autres miséreux, les diplômés de l’université y ont côtoyé les illettrés. Tous ces Afghans mus par le seul souci de la santé de leurs enfants nous ont présenté le visage d’un pays dont les médias ne vous parlent jamais.
L’Afghanistan que je connais à travers l’Institut Médical Français de Kaboul n’est pas celui que vous croyez.
Il est peuplé de gens qui nous ressemblent, qui éprouvent des sentiments universels, aspirent à la paix et s’inquiètent d’un avenir incertain pour leurs enfants. Les Afghans que nous recevons sont avant tout des parents attentifs et tendres, aimables, aussi, à l’endroit des étrangers prêts à les aider. Ils reconnaissent leurs efforts, apprécient leur soutien. Certains d’entre eux n’avaient peut-être pas une très haute opinion de l’Occident quand ils ont franchi les portes de notre hôpital. Tous sont rentrés chez eux avec une autre idée, une fois  leurs enfants guéris.
Á l’heure où les gouvernements de la coalition militaire occidentale se préparent à rapatrier leurs troupes, à plus ou moins court terme, je voudrais dire que nous, médecins, nous restons. Le travail engagé avec les enfants va s’élargir aux mères, avec une extension de l’hôpital destinée à l’obstétrique, à la gynécologie et aux soins maternels. Le coût de cette extension est inférieur à celui de l’entretien d’un drone durant quelques semaines.
Les sommes dépensées chaque mois pour maintenir en Afghanistan les soldats de la coalition permettraient à des centaines d’écoles et à des dizaines d’hôpitaux comme le nôtre de fonctionner pendant des années. L’avenir de l’Afghanistan passe bien sûr par sa sécurité intérieure que menace une guérilla rétrograde, brutale et fanatisée. Mais il passe aussi par la santé et l’éducation, naturellement incompatibles avec l’obscurantisme et la soumission. Á long terme, je suis certain que ce combat pour la normalité que livrent les Afghans ne sera pas conclu par la force des armes, mais par celle de la santé et du savoir. A La Chaîne de l’Espoir, nous sommes heureux et fiers de contribuer à éclairer ce chemin."