Reportage : des cliniques mobiles dans les faubourgs de Jaipur

À Jaipur, en Inde, deux cliniques mobiles, dont l’une est exclusivement dédiée aux jeunes filles, sillonnent les bidonvilles pour faciliter l’accès aux soins aux enfants les plus vulnérables.

À Jaipur, en Inde, deux cliniques mobiles, dont l’une est exclusivement dédiée aux jeunes filles, sillonnent les bidonvilles pour faciliter l’accès aux soins aux enfants les plus vulnérables.

Le terrain vague est perdu à des dizaines de kilomètres du centre de la ville, au bout d’une route cabossée. Entre de maigres bosquets, des tentes fragiles sont plantées sur cette terre aride du Rajasthan. C’est ici, en grande banlieue de la ville de Jaipur, que vivent une centaine de familles de la communauté des Banjara. Loin de tout, abandonnées dans la poussière.

Infections cutanées

Un bruit attire soudainement leur attention. Une vision familière réveille la torpeur des habitants. Les enfants sont les premiers à sortir des tentes et à accourir pour faire la queue. C’est le camion médical jaune de l’association Taabar (« enfant » en langue marwari), le partenaire local de La Chaîne de l’Espoir, qui s’installe sur cette esplanade pour offrir des soins essentiels aux enfants.

L’infirmier Rajesh Soni, vêtu de sa blouse blanche, descend du camion et commence à examiner les petits. Beaucoup souffrent d’infections cutanées, comme Sanju, âgé de six ans et le regard coquin, qui porte un bandana sur la tête pour recouvrir une plaie infectée sur le crâne rasé. « Ce genre d’infections est très courant ici, car ils dorment en plein air et n’ont pas d’eau courante pour se laver », explique Rajesh Soni. Le point d’eau le plus proche est à trente minutes à pied de ce terrain vague. Un à un, les enfants montent donc dans le camion aménagé en petit centre hospitalier mobile, et divisé en trois chambres : une pièce pour les consultations médicales, une pour l’accompagnement psycho-social et une pour la pharmacie. Sanju en sort avec un traitement de trois mois, à base d’une crème et d’antibiotiques. Ces infections sont prises très au sérieux, car elles peuvent vite s’aggraver.

Mariela, opérée à cœur ouvert à Madagascar

De la consultation à l’opération

C’est ce qui est arrivé à Raghuveer. Il y a quatre ans, ce garçon de 14 ans aux yeux noisette et à la chevelure rebelle avait un furoncle sur la hanche. Ses parents, comme tous ceux de ce village informel, n’avaient pas les moyens ni les papiers d’identité nécessaires pour le faire traiter par un médecin. Ils l’ont donc emmené voir un tradipraticien (un « guérisseur » traditionnel). Celui-ci a exercé une pression tellement forte sur sa jambe, apparemment pour faire sortir le pus, que cela a fracturé la hanche du garçon.

Depuis des mois, l’infirmier Rajesh Soni se démène pour redonner vitalité à Raghuveer, qui marche aujourd’hui en s’appuyant sur un bâton de fer blanc : « Nous avons d’abord traité son furoncle. Puis nous l’avons emmené régulièrement à l’hôpital public, qui est à 20 kilomètres, pour faire tous les tests préparatoires à une opération », explique-t-il, en montrant l’épais dossier médical qui a été constitué. L’adolescent souffre moins et il est pris en charge : l’association a fait la demande d’une carte d’identité et financera son opération, qui devrait avoir lieu dans les prochains mois.

Mariela, opérée à cœur ouvert à Madagascar

Briser le tabou menstruel

Cette clinique mobile circule ainsi dans les quartiers isolés de Jaipur depuis 2009. Grâce au soutien de La Chaîne de l’Espoir, l’association a acheté un nouveau camion médical en 2021. La mission : informer, sensibiliser les jeunes filles sur les tabous des règles menstruelles.

Et pour y arriver, il faut d’abord briser la glace. Dans le quartier modeste de Jhalana, au centre de Jaipur, la travailleuse sociale Shaïna Parveen a réuni une quarantaine d’adolescentes sous un arbre. Assise avec elles par terre et en cercle sur un grand drap coloré, elle engage la discussion de manière légère, en demandant aux filles de montrer et nommer les différentes parties de leur corps, puis de les dessiner, pour faire progressivement apparaître poitrine et parties génitales. Shaïna commence alors à démonter les préjugés sur les règles, encore très répandus dans les familles indiennes : « Les règles ne sont pas une maladie », explique-t-elle. « Il ne faut pas en avoir peur, mais utiliser des serviettes hygiéniques, qu’il faut changer toutes les six heures maximum », poursuit-elle. En Inde, beaucoup de femmes continuent à utiliser des tissus en coton. « Accueillez calmement ce moment, vous devenez des femmes », lance-t-elle gaiement. « Et dites toutes : “Bonjour les règles !” », ce que les adolescentes, rassurées, répètent en chœur.

Mariela, opérée à cœur ouvert à Madagascar

Consultations gynécologiques

Le terrain est ainsi mûr pour parler de questions plus personnelles. La quarantaine d’adolescentes se dirigent donc vers le camion jaune rutilant aux logos de La Chaîne de l’Espoir, garé à l’entrée du quartier. Une gynécologue, une conseillère et une pharmacienne les reçoivent de manière intime dans trois espaces climatisés et accueillants, avec leurs jolis rideaux roses aux fenêtres.

Saloni, âgée de 13 ans, en ressort avec un air léger. « J’ai eu mes premières règles il y a trois mois, j’étais pétrifiée, et ma mère ne m’a donné aucune information sur ce qui m’arrivait. Elle m’a simplement dit d’utiliser des tissus pour me protéger et ne pas entrer dans la cuisine », une interdiction très courante en Inde pour les femmes menstruées. « Maintenant, j’ai les réponses qu’il me faut, et je pourrai faire taire les garçons qui se moquent de moi, en leur répondant : votre mère et votre sœur aussi ont leurs règles ! », lance Saloni, revigorée. Ces enseignements sont une arme pour les adolescentes : beaucoup de jeunes Indiennes ne vont plus à l’école pendant leurs règles, à cause de la honte ou des douleurs non traitées. « Ce programme aide à lutter contre la déscolarisation des jeunes filles », insiste Ramesh Paliwal, le secrétaire général de Taabar.

Mariela, opérée à cœur ouvert à Madagascar

Libération de la parole et du corps

Et c’est aussi une libération, car elles reprennent alors possession de leur corps : elles recommencent à jouer, même pendant leurs règles, quand tout le monde leur dit de ne plus bouger. « Quand j’ai eu des sécrétions blanches, personne ne m’a expliqué ce que c’était, et on m’a juste dit de rester à la maison », explique Aachal, 15 ans. « Et quand j’ai eu des douleurs, ma mère m’a dit d’aller à la pharmacie, mais elle était tenue par un homme, alors je n’ai pas osé. Ici, il n’y a que des femmes, on se sent bien plus à l’aise ! »

Au bout de quatre heures dans le quartier, et grâce à ce travail de proximité, ces adolescentes n’ont plus honte de parler de leurs règles. Elles ont même une suggestion : « Il faudrait organiser les mêmes sessions d’information pour nos mères ! », lance Kiran. « Elles en ont grandement besoin ! »

Mariela, opérée à cœur ouvert à Madagascar

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