Madagascar : premières opérations à cœur ouvert

En mai dernier, quatre enfants malgaches âgés de 8 à 13 ans ont été opérés à cœur ouvert au Cenhosoa, l’hôpital militaire d’Antananarivo, la capitale de la Grande Île. Une première dans l’histoire médicale du pays. Une formidable aventure humaine et médicale démarrée en 2018, qui s’inscrit dans un projet global de développement de la chirurgie cardio-pédiatrique dans l’océan Indien.
Finoana, opéré à cœur ouvert à Madagascar

Cela fait déjà trois heures que l’équipe médicale franco-malgache s’affaire autour du petit Finoana, 8 ans. Dans ce bloc opératoire flambant neuf, entièrement réhabilité grâce au mécénat de compétences réalisé par Bouygues Bâtiments International et équipé de matériels de pointe, les visages sont concentrés. L’ambiance est calme ; les instructions, claires et les gestes d’une extrême précision. Chacune des 19 personnes qui gravitent sur le plateau technique – infirmiers, anesthésistes, cardio-pédiatres, chirurgiens – vaque à ses tâches respectives. La machine de circulation extracorporelle qui prend le relais du cœur pendant toute la durée de l’opération tourne à plein régime. À peine entend-on les échanges entre les soignants bénévoles français et leurs homologues malgaches, en pleine formation pratique.

Marielle, première enfant opérée à cœur ouvert du pays

Derrière la porte du bloc, en salle de réanimation, Mariella, 13 ans, originaire de Fianarantsoa (centre sud du pays), se tient bien droite, assise dans son fauteuil médicalisé. Encore branchée à une multitude de machines, la jeune fille rayonne. Il y a trois jours, elle s’est fait opérer d’une CIV (Communication interventriculaire), faisant d’elle la toute première malgache à avoir bénéficié d’une opération à cœur ouvert dans son pays. « Juste avant l’intervention, j’avais très très peur », articule-t-elle péniblement, « mais je me suis dit qu’il fallait que je sois courageuse parce que de toute façon, j’étais obligée d’affronter cette épreuve si je voulais vivre. » Les traits tirés mais les yeux pétillants, elle confie dans un murmure : « J’ai l’impression que ma vie a changé. J’ai l’impression que je serai capable de tout faire maintenant. »

Mariela, opérée à cœur ouvert à Madagascar
Les parents de Finoana, opéré à cœur ouvert à Madagascar

Assis, debout. Assis, debout. Rolland et Alianjarasoa, les parents de Finoana ne tiennent pas en place. Voilà six heures que leur enfant est entre les mains des médecins. Dans la petite chambre d’hospitalisation qui a été mise à disposition des familles, les parents des trois autres enfants, déjà opérés, essaient de les détendre en leur parlant de la météo, très fraîche en ce début d’hiver austral. Pour ce couple de pasteurs de la banlieue d’Antananarivo, l’opération de leur fils à Madagascar est une bénédiction. « Dès sa sixième semaine de vie, les médecins ont su que Finoana avait quelque chose d’anormal. Après des examens, on lui a détecté un souffle au cœur. Assez vite, on a su qu’il fallait l’opérer », se remémore sa maman. « Quand on nous a annoncé le mois dernier que Finoana avait été sélectionné pour bénéficier des premières opérations à cœur ouvert à Madagascar, on n’a pas hésité. Ça faisait plus de quatre ans qu’il était en attente pour partir à l’étranger. Le Covid avait tout bloqué », poursuit son papa.

Dr Pierre Maminirina

Tout à coup, on toque à la porte. Les parents se figent. Le Dr Pierre Maminirina, chirurgien thoracique et cardiovasculaire au CHU de Nantes et médecin bénévole de La Chaîne de l’Espoir, entre dans la pièce avec son équipe. « L’opération s’est bien déroulée », annonce, en malagasy, celui qui a opéré leur enfant. Alianjarasoa et Rolland étouffent un sanglot de soulagement.

Né à Madagascar, le Dr Pierre Maminirina a grandi et fait ses études de médecine sur la Grande Île. Alors, « opérer ici, sur place », explique-t-il, « c’est un peu comme rendre service aux enfants de mon pays ».

La formation, clé de l’autonomisation

Le volet « formation » est un axe fondamental du programme. La présence du médecin malgachophone sur cette mission est un grand avantage pour les équipes française et malgache : les échanges sont fluidifiés par l’utilisation des deux langues. Les 13 bénévoles qui accompagnent le chirurgien prennent de vrais temps de formation, pour transmettre chacun à leurs équipiers malgaches un maximum d’informations, tout en les laissant intervenir en fonction de leur degré de compétences.

Pour l’opération de Finoana, c’est le chirurgien Lucas Randimbinirina qui a assisté le bénévole français. Ouverture du thorax, pose de canules aortiques, etc. : le jeune chirurgien du Cenhosoa, récemment revenu d’une mission de formation à Dakar et à La Réunion, exécute avec dextérité les gestes chirurgicaux dictés par son mentor.

Opération à cœur ouvert au bloc opératoire au Cenhosoa à Madagascar

« Mettre en place une équipe localement qui partage le même objectif que La Chaîne de l’Espoir, permettre d’apporter des soins à des enfants atteints de cardiopathie congénitale à Madagascar, pour moi, c’est ma plus grande fierté », assure, avec douceur, le Dr Pierre Maminirina.

Un vœu que le chirurgien a maintes fois souhaité, par le passé. « Au CHU de Nantes, j’ai souvent opéré des petits Malgaches, pris en charge par La Chaîne de l’Espoir. À chaque fois, je me disais que c’était vraiment dommage qu’il n’y ait pas de structure pour les soigner dans leur pays. L’intérêt de ce projet-là, c’est qu’on n’aura plus besoin de les envoyer à l’étranger. On pourra les soigner ici. Et le fait qu’ils restent avec leur famille, c’est très important pour leur moral et leur rétablissement. »

L’importance du dépistage

Le Dr Jean-Bernard Selly et le Dr Dany Ravaoavy

Ceux qui incarnent sans doute le mieux ce projet au long court, c’est le binôme complice formé par le Dr Jean-Bernard Selly, cardio-pédiatre au CHU de La Réunion et le Dr Dany Ravaoavy, cardio-pédiatre au Cenhosoa. Depuis quatre ans, tous les vendredis après-midi, le Dr Dany reçoit à son bureau des enfants atteints de cardiopathie complexe. A 14h pile, il se connecte et entre en télé-expertise avec une équipe médico-chirurgicale basée à La Réunion (un chirurgien, un anesthésiste, un cardio-pédiatre). Objectif : définir si l’enfant nécessite une prise en charge urgente et une évacuation.

Mais pour que ces petits patients venant des quatre coins de l’île, se retrouvent dans le bureau du Dr Dany, il a d’abord fallu qu’une véritable révolution dans la manière de dépister s’opère. La Chaîne de l’Espoir se mobilise depuis 2018, grâce notamment au soutien de l’Agence Française de Développement (AFD). Dans ce cadre, le Dr Dany arpente régulièrement les provinces pour former les praticiens en contact direct avec les enfants. Qu’ils soient personnel médical, paramédical, agent communautaire ou bonne Sœur, ils apprennent à reconnaître les signes cliniques d’une cardiopathie. Le but étant d’orienter au mieux les familles pour obtenir le bon diagnostic.

« Il y a un vrai résultat positif. On reçoit ici, à Tana, des enfants de plus en plus jeunes, des nourrissons parfois, qui nous ont été envoyés par des collègues de la brousse. C’est le cas des quatre enfants que nous avons opérés. Leur malformation a systématiquement été détectée par des praticiens locaux, des référents que nous avions formés », se félicite le Dr Dany. « Ce que nous avons réussi tous ensemble cette semaine, c’est historique pour le pays », témoigne-t-il.

Si le Cenhosoa est devenu un lieu de pointe pour le diagnostic, c’est aussi parce que son personnel s’est forgé une belle expertise, acquise au fur et à mesure des missions de formation à l’étranger.

Le Dr Dany se rend ainsi plusieurs fois par an au CHU de La Réunion pour poursuivre son compagnonnage avec le Dr Jean-Bernard Selly.

« Quand on a démarré le projet avec Dany, on voyait beaucoup d’enfants dont la pathologie avait été détectée trop tardivement », explique le chef de service de cardiologie congénitale et pédiatrique du CHU de La Réunion. « Ils étaient “dépassés”, c’est-à-dire que le timing pour les opérer était échu. Leur espérance de vie était très diminuée. Or, à mesure que Dany est devenu de plus en plus performant et que son réseau s’est étoffé, le changement a été réel : les patients ont été pris en charge tôt. »

Dépister un enfant pour qu’il puisse être opéré dans le temps imparti est un gros défi. « La vérité, c’est que régulièrement, il arrive que des enfants ne puissent être envoyés à l’étranger à temps et décèdent. Le fait d’avoir un centre ici à Madagascar qui fait de la chirurgie à cœur ouvert offre un vrai espoir, poursuit le médecin français. Évidemment, au démarrage, ce seront les cas les plus simples qui seront pris en charge. Mais si le programme continue à bien avancer, d’ici cinq à dix ans, les enfants pour lesquels Dany et La Chaîne de l’Espoir se battent chaque semaine afin de trouver une organisation qui finance leur évacuation vers la Réunion ou la métropole, ceux-là n’auront plus à chercher où aller. Ils seront opérés ici. Il y a aura moins de transferts. Moins de décès, aussi. »

L’hygiène au cœur de la sécurité des jeunes patients

En passant les portes de l’étage où se trouvent le bloc opératoire, la salle de réanimation et les salles de stérilisation, c’est un monde nouveau que l’on intègre. L’impression d’avoir subitement changé de pays. Ici, tout dénote avec le reste de l’hôpital. De l’éclat des murs blancs aux appareils médicaux de pointe, de la propreté du sol aux simples bacs de tri de matériels usagés. « Il a fallu s’adapter aux contraintes et révolutionner l’hôpital », commente, facétieuse, Sandrine Linares, pharmacienne hygiéniste. Car, comme le rappellent les médecins bénévoles, « ces opérations se sont déroulées dans les mêmes conditions de qualité, de sécurité et d’hygiène que si elles avaient été réalisées à La Réunion ou en métropole. »

Stérilisation des instruments opératoires à Madagascar
Hygiène à l'hôpital Cenhosoa à Madagascar

Coupures d’électricité, approvisionnement en eau, analyses sanguines, traitement des fluides médicaux, stérilisation du matériel chirurgical : il a fallu trouver des solutions à tout pour dompter les nombreuses réalités du quotidien des Malgaches. « Le succès de la chirurgie cardiaque, ce n’est pas seulement l’affaire du chirurgien. C’est beaucoup plus vaste que ça. Ce sont les anesthésistes, les perfusionnistes, les cardio-pédiatres, les réanimateurs, les infirmiers… mais aussi toutes les personnes responsables de l’hygiène et du ménage. Des agents de l’ombre, qui effectuent un travail pas forcément gratifiant mais totalement indispensable pour que l’équipe médicale puissent travailler correctement », rappelle Sandrine Linares.

Alors, ici aussi, la formation du personnel à l’hygiène hospitalière a été un pilier majeur de la mission. Démonstration des techniques adéquates, formation à l’utilisation des produits d’entretiens et aux équipements spécifiques, enseignement des bases de contamination : tout a été décortiqué pour être bien intégré et de nouvelles procédures ont été créées pour prévenir et contrôler les infections.

« On ne nettoie pas un bloc opératoire ou un service de réanimation comme on nettoie sa maison. Il y a beaucoup de paramètres à contrôler, des gestes, des fréquences, des techniques de nettoyage spécifiques à adopter. Et le personnel a été formidable. Tous ont tout de suite compris l’ampleur de l’enjeu de leur tâche et ont eu à cœur de changer leur manière de fonctionner », relate la pharmacienne hygiéniste.

Une nouvelle vie pour Finoana

Finoana avec ses parents

Retour en salle de réanimation. Finoana ouvre les yeux, observe les machines qui bipent, le ballet incessant d’infirmières, de radiologues, de kinésithérapeutes. Des « vazahas » (étrangers) mais aussi des Malgaches. L’enfant a été opéré il y a moins de 24 heures. Ses parents devraient arriver d’un instant à l’autre. Il sourit, paisible. La parole lente et faible, il murmure : « J’ai hâte désormais de rejouer au foot avec mon petit frère et ma petite sœur. Je suis content d’avoir été opéré, et surtout heureux de ne pas avoir été envoyé à l’étranger. J’avais peur de cette option-là parce que je savais que ça voulait dire que je partirais seul sans mon papa ni ma maman », raconte-t-il. « Merci aux docteurs d’être venus ici, merci à eux de m’avoir choisi pour m’opérer. »

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