Afrique de l’Ouest : former les chirurgiens pédiatriques de demain

En Afrique de l’Ouest, moins de la moitié des hôpitaux comptent plus de deux chirurgiens pédiatriques. Les besoins sont pourtant croissants. Face à cette situation, La Chaîne de l’Espoir apporte sa contribution aux formations données dans le cadre des Diplômes d’Études Spécialisées en chirurgie pédiatrique (DES-CP). Retour sur ce programme engagé depuis dix ans.
Photo de mission en Afrique de l'Ouest
« Dans le domaine de la santé, en Afrique subsaharienne plus que partout ailleurs, la problématique cruciale est celle des ressources humaines. Que ce soit en termes de disponibilité ou de formation », explique Mikaël Pozzoni, responsable géographique Afrique de La Chaîne de l’Espoir.

C’est dans cette perspective que notre association a lancé en 2014 un programme d’appui à l’enseignement de la chirurgie pédiatrique. Dans ce cadre, elle organise et finance des séminaires communs aux DES-CP de Côte d’Ivoire, du Togo, du Bénin, du Sénégal, de la Guinée Conakry, du Mali et du Burkina Faso*. « Ce programme entre en parfaite cohérence avec nos missions, puisque l’un des piliers de notre action est la formation », rappelle Camille Nicolas, coordinatrice Programmes Multi-Pays Afrique.

Une indispensable spécialisation

Concrètement, des séminaires d’une semaine environ sont organisés à tour de rôle dans chacun des sept pays. Destinés aux étudiants du DES-CP d’Afrique de l’Ouest, ils sont animés par des professeurs et chirurgiens européens bénévoles. Leur contenu est conçu sur mesure par les responsables locaux, en lien avec le référent médical du programme à La Chaîne de l’Espoir. Avec un objectif : permettre de développer plus largement la spécialisation en chirurgie pédiatrique dans la sous-région. En effet, la population d’Afrique de l’Ouest est très jeune. Compte tenu de la très forte croissance démographique, les besoins en chirurgie pédiatrique ne feront qu’augmenter dans les prochaines années et devront être pris en charge de plus en plus massivement dans des centres de soins spécialisés. « Dans mon pays, la chirurgie pédiatrique est parfois confiée aux chirurgiens adultes dont l’approche est généralement trop invasive », explique Indra Ngo Bayemi, médecin d’origine camerounaise qui suit un cursus de spécialisation en Côte d’Ivoire.

« Pour ma part, je viens de République démocratique du Congo. Beaucoup d’enfants arrivent à l’hôpital et nous ne pouvons pas les soigner, car nous manquons des expertises nécessaires, relate Hilaire Muhindo Mutuka. C’est ce qui m’a vraiment motivé à devenir chirurgien et à me spécialiser en pédiatrie. Pour cela, je suis parti étudier au Bénin. C’est là que j’ai pu suivre le DES-CP. »

Allier théorie et pratique

La programmation de ces séminaires est définie en fonction des besoins remontés par les étudiants eux-mêmes (urologie, cœlioscopie, etc.) Pour Laurence Boutin, directrice médicale adjointe de La Chaîne de l’Espoir : « Dans tous les cas, l’idée est de proposer des contenus qui s’enseignent difficilement dans ces pays par manque de compétences sur place, de formations, de matériel… Tout en prenant en compte le contexte de leur plateau technique, et surtout en cherchant à toujours allier théorie et pratique. » Ainsi, ces formations sont systématiquement associées à des opérations réalisées en direct et retransmises en amphithéâtre. Quand cela est possible, des missions itinérantes sont organisées en parallèle pour permettre aux étudiants d’opérer de nombreux enfants.

« Ces mises en situation concrètes sont propices à des échanges très riches avec les étudiants. Nous sommes là pour répondre à toutes leurs questions », précise Agnès Liard. Chirurgienne pédiatrique au CHU de Rouen et bénévole pour La Chaîne de l’Espoir, elle est la référente médicale du programme. « L’objectif est de leur apporter un très haut niveau d’enseignement, aussi exigeant que celui prodigué à nos étudiants en France, tout en leur donnant à voir le plus de cas spécifiques possibles. »

Un réseau régional

Autre enjeu majeur : créer des synergies. « Lors de ces séminaires sont rassemblés des dizaines d’étudiants originaires d’Afrique de l’Ouest. Ce qui en fait des moments propices à l’échange et au partage d’expériences, de compétences, de connaissances… Ces relations pourront leur être utiles ensuite durant tout leur parcours professionnel », précise Camille Nicolas. Le Dr Cheick Seye, représentant du coordinateur du DES-CP pour le Sénégal, le confirme : « Cette dynamique contribue à structurer les réseaux de formation locaux qui incitent les populations de chirurgiens pédiatriques à s’installer dans leur pays pour exercer. C’est indispensable pour le développement de nos systèmes de santé. » D’autant plus que les étudiants formés seront peut-être les professeurs de demain. « Moi-même, j’ai suivi le DES-CP quand j’étais étudiant. Aujourd’hui, à mon tour d’accompagner les chirurgiens pédiatres en devenir. » Le fil de la transmission s’étend ainsi en Afrique subsaharienne…

 

* Les universités d’Abidjan (Côte d’Ivoire), de Lomé (Togo), de Cotonou (Bénin), de Dakar (Sénégal), de Conakry (Guinée), de Bamako (Mali) et de Ouagadougou (Burkina Faso) proposent un Diplôme d’Études Spécialisées en chirurgie pédiatrique (DES-CP) reconnu par le Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES) et dont le contenu est harmonisé par l’Organisation ouest-africaine de la santé (OOAS).

2 questions à

Nathalie Kapessa Dinganga, étudiante en 5e année de DES-CP à Lomé (Togo)

Que retenez-vous des deux séminaires organisés par La Chaîne de l’Espoir que vous avez suivis en 2023 et 2024 ?

J’ai apprécié rencontrer des professeurs en chirurgie pédiatrique, comme Agnès Liard, qui sont venus partager leurs connaissances, mais aussi leur expérience. On apprend beaucoup. D’autant que ces séminaires sont couplés à des séances pratiques où des enfants sont sélectionnés pour être opérés. Cela nous donne l’opportunité d’assister à des interventions dans un amphithéâtre où un professeur est disponible pour répondre à toutes nos questions en direct. C’est très concret et interactif. En parallèle, j’ai aussi participé à une mission itinérante au Togo au printemps 2023. Nous avons ainsi opéré 127 enfants en cinq jours. Cela enrichit considérablement notre savoir-faire.

Comment vous projetez-vous dans la suite de votre parcours ?

J’arrive à la fin de mon cursus de formation. Ensuite, je souhaite rentrer chez moi, en République démocratique du Congo, pour pratiquer en tant que chirurgienne pédiatre et finir ma thèse. Mon objectif est de devenir professeure et transmettre à mon tour mon expertise. Dans mon pays, il n’existe pas encore de DES-CP. Des médecins français (de l’hôpital Necker-Enfants malades de Paris, du CHU de Besançon…) viennent fréquemment pour enseigner. Mais ce n’est pas suffisant pour couvrir les besoins de près de 100 millions d’habitants. Nous avons besoin de former nos propres chirurgiens pédiatres.

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